BAADAYE

BAADAYE

 Un projet de Ken Aicha Sy en collaboration avec Khaleebi Prod, Oyalviews, Mauaya Jua, Moulaye, Aida Ndiaye et Judith Kiangebeni Wolo. Une Partie de “ Connecting Afro – Futures, Mode, Cheveux et Design” Un projet du Kunstgewerbemuseum,Staatliche Museen zu Berlin Réalisé avec le soutien du programme TURN, Kulturstiftung des Bundes Partenaires : Centre Goethe Kampala; Ugandan Arts Trust, Kampala; Wakh’Art, Dakar; fluctuating images, Berlin; Fashion Africa Now, Hamburg

Le Titre du projet , BAADAYE, signifie “avenir” en swahili , la langue la plus parlée sur le continent Africain. BAADAYE  se présente sous la forme d’une série de photographies et d’une vidéo autour d’un questionnement afro-futuriste du continent Africain et d’une question : A quoi ressembleront les africains en 2200 ? La série de photographie est un triptyque , où une réécriture de la création Adan et Eve à travers les personnages Djissene et Awa à différentes étapes de leurs vies : La jeunesse, l’âge adulte et la vieillesse. Pour participer à ce projet , différents artistes dakarois ont contribuéau processus de rechercher et de création pour dessiner cette vision afro-descendante.La partie vidéo consiste à mettre en avant différentes interviews croisés de visionnaires : musicien, auteur, économiste , designer durant lesquelles ils contribuent en présentant  leurs visions de l’afro-futurisme. Le future sera t il riche fructueux ou apocalyptique? BAADAYE ne présente pas une utopie mais une vision optimiste de cet avenir. “Connecting Afro-Futures…Depuis quelques années l’Afrique est devenu un tremplin pour les uns, une source d’inspiration pour les autres. Effets de mode où réel créativité, peu importe ce qu’en diront les sceptiques, le continent est un terreau fertile pour les arts visuels, de la mode, de la musique. En m’intéressant de plus près aux connections afro-futuristes, j’ai découvert que ce terme « Afro-futures » provenait d’un mouvement Noir Américain des années 1950, qui questionne les liens entre culture africaine, afro-américaine et des éléments de la science-fiction. Les œuvres créées par les artistes noirs-américains de cette période posaient un regard critique sur les questions d’identité, d’afro-descendants et sur l’avenir du peuple noir…De nombreux peintres, écrivains, musiciens, scientifiques où acteurs noirs américains ont questionnés la place de l’homme noir dans une société dominée par la «white supremacy». Ils se sont démarqués de pars leurs créations, réflexions et engagements et sont devenus des noms incontournable des cultures Afro d’aujourd’hui.  Vous reconnaitrez surement certain de ces noms: Basquiat l’artiste à la peinture naïve, Samuel R. Delany, Deltron 3030 romanciers et auteurs de science-fiction, le super-héros noir de la fameuse bande dessinée Marvel Comics Black Panther. Dans les années soixante, la science n’est pas en reste. En effet, trois mathématiciennes, physiciennes et ingénieurs, Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson, dites «les figures de l’ombre» issus de cette minorité noire, employées alors à la Nasa, aboutissent un rêve, celui de la conquête de l’espace en résolvant l’équation qui permettra d’envoyer la première fusée sur la lune en 1969. L’année suivante sur les petits écrans, une figure féminine noire apparaît, le personnage Nyota Uhura , « Étoile qui aime la liberté » en swahili, interprétait par l’actrice Nichelle Nichols, lieutenant chargé des communications sur le vaisseau spatiale le plus célèbre de l’histoire, USS Enterprise, dans la série Star Trek. Ce rôle sera d’une importance significative dans l’inconscient et l’imaginaire des communautés noirs et pour le mouvement afro-futuriste. Il s’agit de la première femme noire dans l’espace! Plus tard, dans la musique cette fois, Sun Ra, l’artiste fou, prodige du jazz Noir-américain, multi-instrumentiste qui clamait avoir été envoyé sur terre par le créateur de l’univers en l’an 1055 afin de permettre au peuple noir d’échapper à la ségrégation, la guerre froide et autres maux infligés à cette communauté. Sun Ra et d’autres musiciens tels que George Clinton et Bootsy Collins ont également été remarqués pour leurs musiques avant-gardiste et leurs propos futuristes. Membres des groupes Funkadelic et Parliament, ils avaient eux aussi eu une vision, celle où la communauté noir pouvait voyager dans le temps, avancer et s’amuser. Ils ont été les premiers à annoncer qu’un couple afro-américain serait à la tête de la maison blanche. Jimmi Hendrix voulait lui aider les gens à trouver leurs places dans cette environnement raciste et à trouver l’amour. Il a fait partie de ces précurseurs qui ont intégré à la musique la technologie pour lui donner une portée futuriste. Des artistes du Hip hop, ont aussi intégrer ce mouvement socio-artistique, Grand Master Flash entre autre. Des artistes plus contemporains, eux aussi engagés dans le courant Afro-Futures ont marqués l’histoire et la pop culture. La rappeuse Noire-américaine Missy Elliott, qui a vendu plus de 50 millions d’albums à travers le monde, présentait la femme et l’homme noir dans sa propre définition du Future. Elle a inspiré par la suite le travail de l’artiste Kanye West, du rappeur Futur où encore celui de la chanteuse Janelle Monae, qui se distingue par leurs approches qualifiées d’afro-futuristes. Janelle dans son cinquième et dernier album en date, intitulé Dirty Computer, créer des cyborgs en guise d’alter-égo, deux projections féminines d’elle-même qui partage un univers où costumes, décors et musiques sont le reflet d’un monde entre passé où la base historique africaine et future, un environnement complètement afro-futuriste. Dans les années quatre vingt-dix, dans un essai intitulé Black To The Future, l’auteur Mark Dery définissait ce mouvement comme un mélange de “science-fiction et cyberculture mis au service d’une réappropriation imaginaire de l’expérience et l’identité noire”. Qu’en est-il soixante ans plus tard ? Serait il possible qu’il y’est une connexion entre l’afro-futurisme et la création sur le continent ? Ce mouvement créé il y’a de ça plusieurs générations aux Etats-Unis, fait pourtant échos à de nombreuses créations issues d’afro-descendants et d’artistes du continent africain, qui eux aussi questionnent l’avenir et partagent souvent à travers leurs créations, inquiétudes et désaccords face à un «  néo-colonialisme » mais pas uniquement. Il serait aussi question de valoriser la place des femmes et des hommes noirs dans les créations d’aujourd’hui et de demain. Des créations qui veulent proposer des récits spéculatifs sur le devenir du continent et plus globalement de la planète. La science-fiction s’invite dorénavant dans le présent de l’Afrique par le biais du cinéma, de la littérature, de la musique et de la création plastique. Les visions de ces créateurs présentent un avenir meilleur, pensé, imaginé, coloré par les Africains eux-mêmes et non imposé de l’extérieur. Le réalisateur burkinabé, Gaston Kaboré, confiait au site Allo Ciné, que : « Si l’on considérait plus largement la mise en scène des pratiques traditionnelles liés au surnaturelle, on pourrait intégrer un bon nombre de productions africaines dans le label science-fiction. » Kaboré estime qu’il y’a bien de la place pour des films qui présente un présent et un futur «  surnaturel ». Ces productions s’appuient non pas sur des inventions technologiques extraordinaires, certainement par manque de moyens mais sur un monde surnaturel, qui lui est plus familier du public local. Le surnaturel est un sujet qui revient souvent dans les productions afro-futuristes produites sur le continent qu’elles soient passé ou actuelle . La fashion designer sénégalaise, Selly Raby Kane, à travers sa production cinématographique produite par le biais de la réalité virtuelle, intitulée The Other Dakar , fait échos aux propos de Kaboré. En effet dans ce court métrage elle présent un Dakar entre passé, présent et futur où personnages humains se mêlent aux esprits et corps aliens. Dans ce projet, elle confectionne des tenues afro-futuristes à partir de matières issues de la récupération. Toujours au Sénégal, dans le cadre d’une collaboration entre les artistes Jahgal et Fabrice Monteiro, le photographe présente une prophétie alarmante où les djinns, esprits de la nature, suffoque dans les différents environnements présentés, pollués par des générations d’hommes, victimes des maux d’une société de surconsommation peu sensible aux questions environnementales. L’Afro-futurisme a son lot de sceptiques où de regards critiques. District 9, le film du Sud-Africain Neill Blomkamp, propose lui, une parabole sur la xénophobie et l’apartheid. Ces personnages principaux sont des extraterrestres à tête de grosse crevette, réduits en esclavage et parqués dans des camps. La jeune réalisatrice kényane Wanuri Kahiu , elle aussi propose une vision futuriste dans son moyen-métrage Pumzi, sortie en 2009. Le nigérian Genesis Williams réalise lui un court-métrage The Day They Came  dans lequel les envahisseurs, sortes de géants de métal surarmés. L’Afrique futuriste, du béninois Sylvestre Amoussou imaginait dans Africa paradis présente des Européens, poussés par la pauvreté, tentant d’entrer illégalement sur un continent noir devenu prospère. Comme le cinéma, dans la littérature, certain artiste se position. C’est le cas de l’auteure nigérienne, de science-fiction,  Nnedi Okorafor, qui exprimait dans une interview du Point que “l’afro-futurisme est devenu un mot marketing”, un terme qui peut donc créer la discorde s’il est mal employé. Elle regrettait qu’il soit l’apanage des américains alors que “ce courant concerne également l’Afrique” et puisse sa force sur l’histoire et les cultures du continent. L’afro-futurisme ne pourrait se dissocier de l’Afrique. Les artistes qui y sont associés ont le droit de mener des démarches biens différentes et d’utiliser les codes, les symboles traditionnels très éloignés de ce que la culture « mainstream » peut valoriser. Les cultures africaines étant en effet aussi nombreuses que les paysages sur le continent ! Cette diversité et pluralité culturelle doit pouvoir s’exprimer librement au cœur de ce courant. Achille Mbembe , philosophe camerounais ,  historien, auteur s’intéresse de près à la question est publié dans Politique Africaine n136  :  Afro-futurisme et devenir-nègre du monde. Cet extrait du résumé propose une approche intéressante et contextualise le mouvement afro-futuriste selon le point de vue de Mr Mbembé « Depuis le milieu du XXe siècle, différents courants se sont attachés à critiquer en profondeur l’humanisme occidental. Parmi eux, l’afro-futurisme déclare que c’est l’idée même d’espèce humaine qui est mise en échec par l’expérience du nègre, forcé notamment par le biais de la Traite, de revêtir les habits de la chose et de partager le destin de l’objet. [….] « Le Nègre de fond » fait son apparition sur la scène du monde alors que, plus que jamais, le capitalisme s’institue sur le mode d’une religion animiste, tandis que l’homme de chair et d’os d’autrefois fait place à un nouvel homme-flux, numérique. » La musique n’est pas en reste, sur le continent, de nombreux artistes s’expriment autour de l’afro-futurisme, notamment l’artiste tchadien, Caleb Rimtobaye qui fait partie de ces créateurs qui mêlent à leurs musiques futuristes, différentes traditions issues du continent. Dans ses influences musicales on retrouve la musique des danses traditionnelles du Tchad, « le saï », des sonorités électroniques, de la musique mandingue, de dubstep et de ci de là, des voix de femmes africaines où encore des notes de blues saharien. Caleb fait partie de ceux qui veulent dessiner eux-mêmes l’avenir du continent et de ces peuples : « Depuis la colonisation, nous laissons les grandes puissances nous dire qui nous sommes. Cela doit cesser. Je ne crois pas que l’Afrique de demain, sera apocalyptique, comme voudrait le présenter les superproductions de Hollywood où certaines œuvres d’artistes africains sceptiques. Je vois un continent qui va dépasser le racisme, positiver, miser sur la haute technologie, ainsi que sur une esthétique épurée… » Inventivité, adaptabilité, imagination, (ré-) appropriation et persévérance. Courant pour certain, mouvement pour d’autres l’afro-futurisme est déjà en marche et dans tous les champs de la création, la musique électronique noire contemporaine est l’un de ces canaux de diffusions. Le Dj sénégalais Ibaaku, propose sa vision futuriste d’une musique spatiale à travers un album intitulé Alien Cartoon. Un mélange de différentes inspirations issues des rythmiques traditionnelles ouest-africaines et de la musique dite électronique entre dub, drum’ n’ bass en passant par le nu-skool hip-hop et même le jazz. Le mouvement afro-futuriste se poursuit également à travers la photographie. The Afronauts, de la photographe espagnole Cristina de Middel revisite de manière fictionnelle un fait historique oublié de l’histoire : la folle aventure spatiale zambienne, des années soixante. Pour rappel, le professeur Edward Makuka Nkoloso , avait pour ambition d’emboiter le pas aux États-Unis et à la Russie dans la course à la conquête de l’espace. Sous sa supervision, douze jeunes Zambiens s’entraînaient alors dans un camp près de Lusaka pour se préparer aux conditions de vie en apesanteur. Ce projet dont la date de lancement avait été fixée au jour de la cérémonie de célébration de l’Indépendance, ne sera jamais pris au sérieux par les autorités zambiennes et finira par être abandonné faute de financement, avant de tomber dans l’oubli. Voulant apporter une contribution à la question afro-futuriste ,  j’ai essayé à travers mon projet entre photographie et vidéo, intitulée Baadaye, terme emprunté au swahili qui signifie avenir, d’apporter ma contribution autour de cette question en proposant la traduction d’une vision, celle de l’Afrique de demain. Un triptyque présente un homme, Djissene et une femme Awa , à la manière d’Adam et Eve , ils sont pris en photographie dans le style portrait à trois différentes étapes de leurs vies. Ces deux personnages représentent une réécriture de la création, un projet artistique collaboratif qui dessine ce que seront les afro-descendants de demain.  Dans la partie vidéo de ce projet, des visionnaires qu’ils soient musiciens, fashion designer écrivains où encore économiste partagent eux aussi leurs opinions sur la question. L’avenir sera t il fécond où apocalyptique. Baadaye propose une vision non pas utopiste et mais optimiste de l’avenir. Le continent a été le berceau notre humanité, pourquoi n’en serait-il pas l’avenir ? De nombreux architectes d’origine africaine réfléchissent eux aussi à demain et tentent de proposer des projets novateurs pour réfléchir aux conditions de vie dans les villes du Futur sur le continent. Là encore, on peut citer des projets dit afro-futuristes qui emploient de nouvelles tendances de constructions et d’organisation de la ville sans renier les caractéristiques propres à chaque pays ou culture. Ces projets reflètent la volonté d’être sur le devant de la scène pour ces villes qui connaissent des croissances exponentielles. C’est le cas de Lagos où Kinshasa qui sont dans des situations comparables, en termes de développement et de démographie, à certaines villes d’Asie. Le cas du projet d’Eko Atlantic dans la ville de Lagos au Nigéria. Ce dernier envisage la construction d’une île de 10km2. Un espace artificiel qui devrait accueillir de nombreux gratte-ciels et devenir le “Dubaï de l’Afrique”. Un projet qui connaît cependant ses limites. Les travaux connaissent d’importants retards et sont très coûteux. Dans la course à l’innovation urbaine, les villes africaines souhaitent s’imposer comme challenger en proposant des projets modernes et ambitieux, pour affirmer leurs spécificités culturelles dans des projets urbains inspirants. Les nombreux projets urbains du continent qui réinventent l’architecture vernaculaire africaine et innovent à leur manière pour créer les villes d’Afrique de demain. Mawena Yehouessi chercheuse, curatrice et artiste synthétise la réflexion autour de la question en disant : «  L’afro-futurisme sera d’abord reconnu comme un facteur d’émancipation : celle des personnes de couleur, dans un pays qui ne leur accorde que peu de place au sein de sa narration. Ce sera le moyen pour la culture noire de s’affranchir d’une autorité biaisée et de faire son propre éloge. L’afro-futurisme s’appuiera profondément sur ses origines africaines, plus encore qu’aucun autre courant noir-américain, comme « garantie » de son altérité par rapport au système. « Il laisse entrevoir la possibilité d’un nouveau type de relation au monde. » […]L’afro-futurisme embrasserait des narrations alternatives du monde plutôt qu’une narration « de référence », transfigurant le système mondial officiel. Il n’essaiera plus d’organiser ou d’illustrer  le monde, mais de l’accomplir. En fait, l’afro-futurisme formerait un pont entre le monde et sa propre « surnaturalité » ».